Origins

Chapitre 1 : Le Pokémon Technical Institute


Septembre 1990


Derrière la porte close, les oreilles curieuses se battaient pour entendre un son, un mot, une phrase qui pourrait les éclairer sur les secrets chuchotés de l'autre côté. Ce matin là, Mme Boss avait laissé entrer dans son impénétrable bureau un homme sérieux, apparemment important, vêtu de noir et portant de petites lunettes rondes écailles sur sa tête dégarnie. Dans sa main droite gantée de noir, une canne vernie, et dans sa main gauche, elle aussi recouverte d'un gant d’ébène, une mallette, contenant probablement des documents, ou peut-être du liquide, qui sait. Quoi qu'il en soit, l'homme avait interpellé Brody et Giovanni, tous deux ayant leurs bureaux à l'entrée du couloir. Dès lors que l'inconnu fut arrivé au troisième sous-sol, il avait attiré l'attention des deux jeunes gens en faisant cliqueter sa canne sur la moquette habituellement silencieuse. Son allure mystérieuse, couplée à son air grave, avait dissuadé les deux acolytes de lui demander ce qu'il faisait là, restant cachés à l'encolure de leur porte respective, et dès qu'il fut entré dans le bureau de Mme Boss, les curieux s'empressèrent d'en savoir plus. Si Brody était agent d'élite, Giovanni n'avait, lui, en revanche aucun talent pour l'espionnage. S'il était là, ce n'était que pour son nom et l'amour inconditionnel que lui portait sa mère, malgré son incompétence totale à agir sur le terrain et au contact des créatures, en dépit d'une coûteuse formation au sein du Pokémon Technical Institute, puis à l'académie Rocket. Cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, le pistonné ne se débrouillait pas trop mal pour écouter aux portes sans se faire repérer. 

A cette époque là, la Team Rocket était à son apogée : le crime payait bien plus qu’aujourd’hui et l'argent coulait à flot dans les caisses de l'organisation, qui était tout autant crainte que respectée. C'est ici, dans les sous-sols de l'ancienne usine de tissage que les Galekings de Mme Boss avaient creusés le bunker servant de QG. Loin de l'aspect piteux d'un abri anti-atomique standard, l'Outpost, comme on l'appelait, était au contraire très impressionnant : l'élégance des murs rouges de velours éclairé aux chandelles n'avaient d'égal que la moquette noire soyeuse s'étalant sur 200m² répartis sur 3 sous-sols comprenant divers bureaux et salles de réception. Cette ambiance délicieusement occulte était à l'image de la patronne des lieux : à la tête de l'Outpost se tenait Mme Ginevra Gambino, fondatrice de l'organisation criminelle, plus connue sous le nom de Mme Boss, prestement entourée de son fils Gio-Gio, et de son indéfectible bras droit, Brody. Toujours vêtue de rouge, tirée à quatre épingles dans son blazer noir Corbosse, l'intraitable Mme Boss menait l'organisation d'une main de fer, tandis qu'au dessus de sa tête planait une épée de Damoclès : elle était malade, et son fils tout comme son agent d'élite se voyaient déjà dans son fauteuil de cuir, face au téléphone vernis et au cendrier de cristal qui ne semblaient faire qu'un avec le bureau de la Boss. Si l'un rêvait de progrès et d'une organisation plus scientifique et évolutive, la jolie Brody s'imaginait tout simplement changer la décoration et empocher toujours plus d'argent en réduisant les effectifs et les dépenses qu'elle jugeait superflues. Cependant, pendant qu'ils rêvaient, Mme Boss préparait son départ : elle avait beau avoir tenu tête aux plus dangereux criminels du pays, le cancer était sans doute le pire qu'elle n'ait jamais affronté, et se battre n'était plus une option, si cela impliquait de survivre dans une blouse d'hôpital sans cheveux, ni seins, ni dignité. Elle finirait donc ses jours le menton haut, ses affaires en ordre, dans sa plus belle robe rouge carmin, décolletée, ses cheveux ébènes lâchés sur ses épaules bronzées, laissant une dernière marque de lipstick sur son verre de Scotch tandis que les somnifères glisseraient au fond de sa gorge. Elle avait de grands projets pour la suite, peu importait les concurrents en place pour prendre la sienne. De grands projets qu'elle avait toujours imaginer léguer à sa plus brillante agent, sa plus fidèle employée, son amie qui lui ressemblait tant, à celle qu'elle aurait voulu conduire à la tête de la Team Rocket une fois son heure venue... Oui mais voilà, Jane était partie il y a déjà 10 ans, mais malgré toutes ces années, sa foi en elle n'avait jamais faiblit, et entre les deux Seviper rodant autours de son trône dans l'attente de sa disparition, son choix était fait : c'était sa fille qui reprendrait l'empire. Et sur le parchemin lisse contenant ses dernières volontés, elle fit glisser sa longue plume de Corbosse et ajouta d'un geste précis : "Et à ma jeune protégée, la fille de ma très chère amie Jane Martha Austin, je confie le contrôle absolu et les pleins pouvoirs de l'organisation que j'ai crée, dirigée et élevée au rang d'institution, La Team Rocket : Mademoiselle Jessica Jane Austin."

Soleilville, Kanto. Juillet 1991

"- J'veux plus JAMAIS t'revoir, sale traînée! J'me tire d'ici!!
- Ça vaut mieux, puisque tu n'sais pas t'exprimer sans hurler...
- LA FERME! TU LA FERMES!

- Qu'est ce que j'disais..."

Ce soir là, Jessie était partie, pour de bon, cette fois. Elle avait passé la jolie porte ornée de l'inscription dorée "Peverell" pour la toute dernière fois, avant de la claquer, de prendre son vélo, et de descendre la longue impasse reliant la maison à la ville. Cassidy ne l'avait pas retenue, après tout, elle avait fait assez d'efforts comme ça. C'était la fois de trop, c'était voué à l'échec, fini.

Tout devenait clair : l'autre n'était qu'une sale greluche prétentieuse et jalouse, et finalement, ces mois passées ensemble n'étaient qu'une perte de temps, une supercherie. Cassidy avait fermé ses rideaux tandis que les lourds nuages gorgés d'eau s'amoncelaient au dessus de la ville, avant de s'approcher du miroir, dans un sourire narquois. Elle n'avait pas tout perdu, non, au contraire, elle avait gagné.

C'était plus simple de partir de ce principe, plutôt que de se remettre en question, pour chacune d'entre elle, d'ailleurs. Trop de fierté, sûrement, et pas assez de courage de toute façon pour assumer leur relation devant les autres parce qu'après tout, Jessie n'était qu'une sale garce menteuse, une pauvresse sans aucun savoir vivre qui jouait avec les sentiments des autres comme s'ils n'étaient que des Pokémons, et Cassidy une fille gâtée vaniteuse, jalouse et trop séductrice pour être honnête, une peste manipulatrice, et rien d'autre. Et surtout, ce n'était pas une relation saine et conventionnelle, aussi.

Ou pas. Peut-être que le regard des gens était finalement plus dur pour Jessie que pour Cassidy, et que sa soif de vengeance et sa convoitise de ce qu'avait son amie étaient devenus une obsession pour Jessie, tandis que la jolie blonde ne rêvait que d'une chose, la seule chose que Jessie possédait de plus qu'elle : la liberté. 
Il faut dire qu'à la Pokémon Tech à cette époque là, les préjugés et les jugements faciles étaient la seule façon de penser approuvée par les autres, les fils à papa blancs, hétérosexuels et cisgenres, alors pourquoi Cassidy aurait-elle voulu entacher sa réputation de cheerleader sans fausse note? Et pourquoi Jessie aurait elle voulu se faire remarquer d'avantage, alors qu'elle était déjà suffisamment stigmatisée comme ça? A 17 ans, il n'y avait aucune raison. Aucune.

Chapitre 1


Pourtant, elles avaient pris des risques, au début, en se retrouvant dans les dortoirs au beau milieu de la nuit pour discuter, regarder des films, pour faire l'amour, ou pour rêver d'une vie meilleure... Parfois, elles se disaient qu'après le lycée, elles pourraient enfin être ensemble, à Céladopole.
"- Toc toc...- Viens, entre! Je t'attendais pour regarder le film...- J'ai ramené l'une des bouteilles de vin que ma mère cache dans la cave"

Cassidy ne dormait pas à l'internat, normalement, mais elle avait pris l'habitude de faire le mur, pour Jessie. Elles s'étaient connues en classe de seconde, lorsqu'au milieu de l'année, la jeune fille était arrivée de Soleilville, seule, éteinte, découragée après que Madame Boss l'ai envoyée en pension, qu'elle ait raté son audition, que son amoureux soit parti, pour devenir coordinateur loin d'elle. Elle était différente, et par conséquent jugée, critiquée par les jeunes bourgeois de la Pokémon Tech, mais pour Cassidy, elle était cette fille libre et indépendante, qui osait dire aux autres ce qui ne lui plaisait pas, et très vite, elles étaient devenues amies. Malgré le fait que tout semblait les opposer, elles trouvaient chez l'autre une certaine complémentarité. Un coup de foudre, une relation qui n'avait aucune étiquette, et un souffle d'espoir dans leur vie à chacune, qui leur donnaient envie de partir loin d'ici, ensemble, dans un endroit où elles ne seraient plus obligées de faire semblant.

"- Ma mère me tape sur les nerfs, et ma sœur aussi d'ailleurs, avec leurs principes moyenâgeux..."

Si Jessica n'avait pas de famille, pas d'amis autre que Cassidy, rien, une vie décousue, une succession de portes fermées, où tout ses projets semblaient être des échecs avant même qu'elle n'ait tenté sa chance, sa comparse ne supportait pas sa condition non plus. Une famille traditionnelle, religieuse, bercée par des préceptes qu'elle détestait. Une étiquette avait toujours été collée sur le pale front de Cassidy, et elle avait du apprendre à être parfaite dès son plus jeune âge. La dernière once de folie et de joie au cœur de la maison des Peverell s'était envolée avec son père, lorsqu'il était décédé dix ans plus tôt. Le train-train, la norme : Cassidy n'en pouvait plus, elle étouffait, et grâce à Jessie, elle sortait de sa zone de confort, elle rêvait enfin d'un futur où elle aurait le choix. Le choix de ne plus être celle que l'on attendait qu'elle soit, le choix de ne pas se marier avec un garçon de bonne famille, d'avoir un travail barbant mais stable, et de vivre dans une maison similaire à la sienne, un pavillon gris de banlieue, au bout d'une impasse.
"- Et si on volait la caisse de ta sœur pour aller jusqu'à Kalos, comme Thelma et Louise?- J'ai déjà vu le film, elles finissent six pieds sous terre!- Merci de m'avoir raconté la fin, j'ai plus envie d'le voir maint'nant crétine!- Tant mieux, passe moi la bouteille..."
Grâce à Cassidy, Jessie, elle, avait désormais quelqu'un, une amie, elle n'était plus seule pour affronter le monde. Grâce à Cassidy, elle était quelqu'un, pas l'outsider qu'elle avait toujours été, la pièce rapportée, une pauvre fille. Grâce à Cassidy, elle se sentait importante, aimée, désirée et sexy, et elle lui offrait un monde qui lui avait toujours semblé inaccessible. Entre les quatre murs de la petite chambre de l'internat, tout un univers s'ouvrait à elles, où tout leur semblait possible. Mais les rêves ne durent que le temps d'une nuit, et un matin, Jessie avait fait ses affaires, et elle était partie.


Partie 2. "Home"

"- On n'a plus les moyens, tu vas devoir y mettre du tien!

- Ah ouais, et comment!?

- Tu peux rejoindre l'organisation, on est en reconstruction, on a besoin de recrues, ou tu peux te débrouiller seule. Dans tous les cas, je ne paierais pas l'internat."


Lorsque Madame Boss fut trop malade et que Giovanni reprit les rennes, ce fut fini, le monde de Jessie s'écroula d'un coup, et ses rêves aussi. Elle choisi d'abord de rester à la Pokémon Tech, de se battre, mais les vols à l'étalage ne suffisaient pas, et trouver du travail à 17 ans sans expérience, c'était trop dur. Le premier mois, sa chambre était payée d'avance, alors elle ne dit rien, mais le compte à rebours était déjà lancé.
"-Je suis désolé Jessica, mais si vous ne payez pas la chambre, vous ne pourrez pas rester

- L'école est payée, s'il vous plait, je n'peux pas dormir avec le personnel en bas? J'ai nulle part où aller..."

La Pokémon Tech, lui avait tourné le dos, Giovanni aussi, alors elle était partie, dans la nuit, avec son sac à dos contenant le peu d'affaires qu'elle avait. "Je reviens bientôt. J". Cassidy était restée là, hébétée, regardant la chambre vide, froissant le papier entre ses doigts. Mais elle ne reviendrait pas, et elle le savait. Aujourd'hui encore elle ne savait pas pourquoi elle avait menti à sa meilleure amie, à celle qu'elle aimait plus que tout au monde, sûrement la honte, probablement la peur. "Je reviens bientôt. J", et c'était tout. Pas plus de cérémonie, rien de plus qu'une feuille de papier, arrachée dans un livre et ces mots écrits à l'encre noire. Pour la première fois depuis longtemps, Cassidy s'était sentie vide, seule.
"Bonne fête maman!" Elle lui avait tendu cette poterie dans un grand sourire hypocrite espérant que sa mère ne remarque pas que cette affreuse jarre avait été cassée puis recollée... C'était la faute de Giovanni : ils avaient joué dans le jardin avec les Pokémons du QG de la Team Rocket sous le regard bienveillant de Mme Boss, comme tous les mercredis, mais il avait envoyé le ballon trop loin, éclatant le petit baluchon dans lequel elle avait emballé ce précieux cadeau... "TU L'AS CASSÉ, IMBECILE!" Et elle avait pleuré longtemps, avant qu'il ne le lui rende tout recollé, un peu grossièrement...
"- Merci ma chérie c'est magnifique!"
Jane mentait bien sûr, comme toutes les mamans, à la vue de cette immonde poterie ornée de peintures très mal réalisées d'Eliatron, mais comme c'était sa précieuse fille unique qui l'avait réalisé de ses petites mains, elle avait une place toute particulière sur le buffet de l'entrée...
Aux côtés d'une écharpe mauve décousue qui pendait au porte manteau tout rouillé, et d'un chapeau dont le feutre était poussiéreux, là, au sol, il y avait encore la gamelle vide de ce mystérieux pokémon que Jessie voulait appâter avec de la nourriture quand elle était enfant, mais qu'elle n'avait jamais réussi à prendre en flagrant délit... C'était délabré, mais c'était chez elle, alors dans la vieille chambre de l'étage, elle avait rangé ses affaires. Tout était exactement comme dans ses souvenirs : des murs ternes, gris, d'épais rideaux oranges hideux et démodés empêchant la lumière de pénétrer la pièce. Un parquet de bois usé au milieux duquel trônait un lourd tapis chaud et poussiéreux sur lequel elle jouait avec sa poupée parfois. Il y avait un petit bureau à droite, un coffre, puis plus loin, une armoire en bois usé décorée de gravures en formes de Dracolosse, et un lit d'enfant. 


"-Je reviens bientôt..."


Elle qui n'avait jamais réussi à comprendre pourquoi sa mère était partie comme ça, sans elle... Elle venait de fuir pourtant, de la même façon. Il n'y avait pas d'eau dans la maison, pas d'électricité, rien, mais c'était chez elle. Parfois, le soir, sous les couvertures, elle pensait à Cassidy, à son rire et à ses petites piques bien senties, à la douceur de sa peau et à son parfum. Elle repensait à leurs rêves, à leur univers, à la chambre de l'internat et à la télévision grésillante, aux cassettes qu'elle empruntait à la médiathèque de l'école, au vin rouge que Cassidy volait à sa mère.
"- HEY? Y A QUELQU'UN?"
Allongée dans son lit d'enfant, avec sa poupée, elle avait entendu un fracas en bas, comme du verre qui se brise. Elle se demanda d'abord si ce n'était pas un rêve, après tout, elle ne mangeait pas beaucoup, mais les fracas résonnaient jusqu'en haut, plus forts. C'est là qu'elle avait rencontré Keira.
"- Qu'est ce que tu fous là toi?- J'habite ici, y a rien à voler alors fiche le camp!"
Une fille perdue, comme elle, à la recherche de quelques choses à manger, à piquer pour le revendre, et finalement, elle avait trouvé en cette gamine une nouvelle amie, et un refuge, dans une grange près d'ici, avec une bande de marginaux, des outsiders, comme elle, des gens qui la comprenaient, qui ne la jugeraient pas. A partir du moment où Jessie se mit à penser que Cassidy la jugerait si elle apprenait la vérité, c'était déjà la fin. Elle savait très bien en laissant le mot qu'elle ne reviendrait jamais à l'école. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais un soir pourtant, Cassidy réapparu, comme un éclair dans la nuit.


Soleilville, mai 1991. 


L'année scolaire était presque finie, et les mois s'étaient écoulés depuis que Jessie était partie. A Jadielle, la vie monotone de Cassidy suivait son cours : idéale pour la plupart des élèves, et pourtant, elle s'ennuyait. Faire le mur ne l'amusait plus, les garçons s'endormaient rapidement après l'amour, ils ne la faisaient pas rêver. Comme d'habitude, c'était Eddie qui avait vendu la mèche. L'informateur, le gentil garçon, toujours au courant de tout, et prêt à beaucoup pour séduire Cassidy...


"-Le gamin aux cheveux bleus dit qu'il l'a vu dans un squat à Soleilville, avec une bande de voyous à vélo. Elle fait des combats Pokémons contre les gens qui vont jusqu'à la crique, et s'ils perdent, ils doivent donner leur fric."

-


Dans le vieux hangar au bout du quai, au dessus d'une terrasse de fortune, des guirlandes lumineuses de Noël clignotaient en rythme, suspendues aux poutres de bois abîmées. Au sol, les lattes pleines d'échardes étaient recouvertes de lourds tapis aux motifs indiscernables tant ils étaient poussiéreux, tachés de vin, et troués par les mégots jetés au hasard. Ça et là, des canapés Chesterfield marrons, où les Miaouss errants venaient faire leurs griffes, et au centre, une vieille table et des jeux de sociétés. C'était calme. Les murmures caressaient l'océan et la fumée des joints donnait un air mystique à la scène, tandis que dos à la bande, accoudée à la rambarde, Jessie, regardait l'océan, lasse, écoutant d'une oreille les conversations futiles de ses comparses lorsqu'elle entendit soudainement que le ton haussait. Elle jeta sa cigarette à l'eau


"- Tu t'es perdue boucles d'or? 

- C'est qu'elle est pas mal...

- Rentre chez toi si tu veux pas qu'on t'dépouilles, pétasse"


Keira était arrivée sans un bruit, et à sa simple vue, ses amis s'étaient tu, et elle s'était retrouvée face à une adolescente du même âge que cette dernière, blonde, à peine plus petite qu'elle avec de grands yeux améthyste dont elle distinguait la profondeur de la couleur à chaque fois que les guirlandes s'illuminaient à l'unisson. Elle semblait venir des beaux quartiers, du moins, c'est ce que traduisait son allure et ses vêtements. Cachées par ses cheveux blonds, de magnifiques boucles d'oreilles brillaient dans la pénombre, de même que ses yeux emplis de prétention, se mariant à la perfection avec son petit sourire suffisant. Elle était terriblement sûre d'elle, aussi Keira, qui se prenait pour la chef, fit un geste sec de la tête à sa bande afin qu'ils la laissent gérer ça, tandis que Jessie resta cachée. Cela n'empêcha pas les garçons de mater Cassidy comme si elle était un morceau de viande, tandis que Keira pris la parole

"- Tu cherches quelques choses?

- Jessica"


C'était la première fois que Cassidy venait ici, cet endroit mal fréquenté au milieu des gens paumés, sans famille ni attache, les laissés pour compte, en somme. Derrière le rideau, à l'intérieur de la grange, les curieux regardaient la scène : il y avait beaucoup de gens de passage ici, et si Keira se prenait pour la chef, c'est qu'elle vivait dans ce trou à Ratatta depuis plus longtemps que les autres. Elle avait sorti sa Pokéball


"- J'te laisse passer si tu gagnes, t'as compris!? Sinon, tu peux dire adieu à tes boucles d'oreilles!"


Cassidy avait esquissé un sourire tandis que James et Cyclo regardaient la scène dans la grande pièce servant de dortoir, par l'un des trous dans la boiserie.


"- J'n'ai pas envie que mes Pokémons attrapent des puces! Je vais l'attendre."


C'était la première fois que Jessie voyait Cassidy dans cette robe. Cachée derrière la cabine de douche, les pieds dans le sable, elle s'était mise à trembler, avant de ravaler ses sanglots. Cassidy l'avait retrouvée. Elle s'était liquéfiée de honte


"- Je peux savoir c'que tu lui veux à Jess?

- Dis lui seulement que j'suis là"


Des explications, c'est tout ce qu'elle demandait. Mais lorsque Cassidy l'avait vu arriver dans ses vieilles fringues démodées qu'elle ne connaissait que trop bien, ses cheveux mouillés et l'air condescendant après sa disparition mystérieuse, elle fut bien trop agacée pour ne pas être sarcastique


"- Je vois que tu n'as pas changée.

- Pourquoi t'es là?

- Et toi, pourquoi t'es là?"


Elle aurait tant voulu lui hurler "Parce que j'ai pas de baraque, parce que je n'ai pas la force de venir tous les jours affronter des gens qui vont me juger alors que je n'ai pas demandé à naitre du mauvais côté de la barrière, sale conne!", mais elle en était incapable. Et pourtant Cassidy aurait compris, elle n'était pas cette fille cruelle que dépeignait Jessie, loin de là.


"- T'as rien à fiche ici

- Tu vois quelqu'un d'autres, c'est ça?!

- Oui. Alors reste loin d'moi."


Cassidy était une fille forte, pourtant, mais ça l'avait blessé. Énormément. Pourquoi est ce que Jessie lui faisait ça, à elle? Pourquoi l'avait elle jetée comme ça, sans raison!? Elle n'avait pas cherché de réponses, rien. La fierté, comme d'habitude. 


Et elle était venue la rejoindre, comme toujours. Elle avait beau faire la fière devant la bande, devant Cass, devant tout le monde, c'était plus fort qu'elle, elle était amoureuse, même si elle refusait de le montrer. Elle avait pourtant eu envie de fuir, mais elle préférait mentir, encore."- T'es pas bien d'être venue sale greluche, il aurait pu t'arriver n'importe quoi! - Tu parles! Cette pétasse vulgaire ne me fait pas peur! Et toi non plus. Allez, habille toi, on va au bal de fin d'année - J'ai pas mes affaires, je vais rentrer.- Tu n'as pas besoin de repasser par ton caniveau, on va être en retard! De toute façon il y a un dress code, tu n'rentreras pas avec tes... "affaires"- C'est mes affaires, d'accord?!- Ah quoi bon faire le déplacement? Tu les as volées ou confectionnées avec du sac poubelle, je vais te prêter une robe! Une vraie robe, qui vient de Celadopole!- De Celadopole?- Évidemment, je n'fais pas du shopping dans les vide-greniers, MOI! Celle que je portais tout à l'heure, elle te plait?"Cassidy s'était levée du lit, encore nue, et avait pris la robe rouge qu'elle avait délicatement plié sur sa chaise. Une jolie robe, avec un décolleté plongeant dans le dos, arrivant juste au dessus de ses genoux. Une robe de couturier, bien trop finie et travaillée pour que Jessie ne puisse la trouver dans l'une de ces boutiques de dépôt vente. Ces yeux brillaient depuis que son amie lui avait parlé de Céladopole, cette ville lumière qui la faisait tant rêver, cette grande ville où tous les rêves semblaient pouvoir se réaliser, et où les magasins de mode se succédaient dans les rues pavées"- Les filles de ton gang ne portent pas ca, pas vrai?- File moi ça! Je pari qu'elle me va mieux qu'à toi..."Il n'y avait pas eu de questions, rien. En rentrant de la grange, elles s'étaient toisées du regard, sans un mot, jusque chez Cassidy, et arrivées à la maison, elles n'avaient pas jugé utile de discuter avant de faire l'amour. Puis elles étaient parties. Ce soir là, ça aurait pu s'arranger, mais elles ne savaient pas communiquer : si la blonde minaudait et envoyait des piques acerbes de son air hautain, Jessie ne savait pas garder son calme et se mettait à crier, perdant toute crédibilité. Aussi, si ça ne partait pas en joute verbale, elles finissaient nues dans les draps, et rien ne changeait, finalement. C'était un cercle sans fin, sans issue, toujours comme ça depuis le début. Cecelia avait regardé Jessie de travers lorsqu'elle était passé habillée avec les vêtements de sa sœur, avant de prendre Cassidy a part "- C'est ta robe non?- Et alors?- Je pensais que tu étais revenue à la raison..."Encore une fois, la morale moyenâgeuse régnant sur la ville avait frappé, mais c'était sans importance. C'était décidé, Cassidy partirait elle aussi, elle serait libre, indépendante. Elle allait s'enfuir, partir à Céladopole avec Jessie, elles seraient comme Thelma et Louise, en fuite, sur les routes... du moins c'est ce qu'elle s'imaginait, avant que cette soirée ne vire au cauchemar.Arrivées à la fête, Edward était là, de même que beaucoup de monde de la Pokémon Tech, et dès lors qu'il avait vu Cassidy entrer, il était venu la voir, chancelant dans son costume trop serré. La salle était immense, tamisée de cercles de lumière, provenant des reflets des projecteurs sur l'imposant lustre de cristal eu centre."- Cass, c'est bon d'te voir, tu... tu es sublime ce soir"Aussi, la jeune adolescente l'avait regardé en souriant fièrement tandis qu'il tremblotait, la sueur perlant sur son front, rouge Ecrapince, avant de lui prendre son verre des mains"- Eddie, mon chou... Tu as déjà assez bu je crois. Va donc me chercher un autre verre...- Tout de suite Cass..."Les rires et les discussions fusaient tandis que les élèves dansaient sur des musiques à la mode, s'enchaînant et résonnant dans les enceintes de la salle des fêtes. La robe était restée sur Jessie ce soir là, après qu'elle ai vu Cassidy minauder toute la soirée avec un garçon... Elle était restée au bar toute la soirée, refusant de danser"- Je croyais que tu étais venue me chercher parce que tu voulais passer cette soirée avec moi...- Fais pas la gamine pourrie gâtée Jessie, amuse toi et profite d'être ici plutôt que dans ta grange, compris?!- C'est qui lui là bas?- Ah, parce que ça t'intéresse maintenant?!- Pourquoi t'es venue me chercher au juste? Pour me montrer que maintenant tu couches avec des joueurs de foot?- T'as trop bu Jess, laisse tomber.- C'est ton mec c'est ça? T'es contente, ça fait parti de ton super plan pour te la raconter?- Tu vas me faire la leçon alors que tu fréquentes une SDF? T'es vraiment tombée bas...- T'es vraiment une sale MORUE PRETENTIEUSE!! TU T'PRENDS POUR QUI?- Si tu commences à hausser le ton je j'te connais plus, tu m'fiches la honte.- T'as raison, dégage! Madame Cassidy voulait me montrer à quel point elle est cool, à quel point elle a de l'argent et des mecs à ses pieds c'est ça? Je l'savais déjà que t'étais qu'une pétasse, c'était pas la peine de m'inviter! - T'es ridicule.- MOI J'SUIS RIDICULE?"La dernière soirée, la pire, celle qui allait les séparer pour de bon. Jessie savait déjà qu'elle avait été refusée à l'école pour devenir infirmière, et qu'elle allait devoir intégrer une classe pour Leveinard à Ville Heureuse, loin d'ici, à Johto, et naïvement, elle pensait que Cassidy était venue la chercher pour lui dire qu'elle avait vu les résultats, qu'elle allait lui dire quelques choses comme... "Ça ira, je sais tout, j'm'en fiche, je t'aime, on restera ensemble malgré tout", mais non. Non, évidemment, ça ne ressemblait pas à Cassidy.Probablement que le jolie blonde ne cherchait rien d'autres que regonfler son ego au travers de ce beau garçon lui ronronnant des sérénades vues et revues, peut être parce que Jessie l'avait laissé tomber, sans aucune explication? "- T'es qu'une garce, à toujours étaler ton fric et à croire que j't'appartiens! Tu penses que tu vaux mieux que moi mais t'es qu'une salope!- Je préfère être une salope qu'une pauvre menteuse crade et sans ambition. Ma pauvre Jessie, regarde toi! Tu peux duper ta clocharde en te pavanant dans ma robe, mais pour nous tous ici, tu sera toujours Jessica, la fille à problèmes."La fierté. La mauvaise foi. Plutôt que d'avouer à Cassidy pourquoi elle était partie, elle préférait faire preuve de mauvaise foi, tandis que Cassidy n'aurait jamais avoué qu'en dépit de ses relations volages avec des garçons du lycée, c'était avec elle qu'elle voulait être, par fierté. Et elle était partie, furieuse, avant de se rendre compte qu'elle avait oublié son sac chez Cassidy. "- Reste dans ton p'tit confort à faire semblant qu't'as des problèmes parce que ton père est mort, ou parce que ta mère a des principes rétrogrades. T'es qu'une pétasse sans cœur et t'es jalouse de moi parce que tu sais que je vais devenir quelqu'un, alors que toi tu finiras avec un pauvre mec dans une maison comme la tienne en banlieue!- T'es qu'une minable ma pauvre, tu deviendras rien du tout! Sans moi t'es rien. Je t'ai donné ta chance et t'as préféré cracher dans la soupe, mais ça m'étonne pas! T'es qu'un parasite, tu détruis tout c'que t'approches, dégage de chez moi."Sur la route, pédalant sous la pluie à toute vitesse, elle s'était promis de ne jamais revoir Cassidy. Elle allait devenir quelqu'un, elle allait se battre. Même si personne ne pariait sur elle, elle allait s'en sortir, sans elle."- Hey, fais moins d'bruits tu veux!- La ferme!"Ce soir là, c'était aussi la dernière fois qu'elle voyait la grange, quand elle était revenue pour prendre ses affaires. Elle avait envoyé paître l'un des garçons qui dormaient là, puis elle avait enlevé la robe trempée avant de la jeter en boule au sol, et de donner un violent coup de pieds dedans. C'était fini. Demain, elle partirait pour Ville Heureuse, avant de quitter l'école, de partir pour Céladopole tenter sa chance, avant de finalement revenir voir Giovanni, dans ce sombre QG, sa maison.Ce soir là, Cassidy avait pleuré longtemps, à l'abri des regards, et elle avait détesté Jessie pour ça. Après l'été, elle était partie à l'université, et alors qu'elle avait un avenir tracé, un futur idéal se profilant avec un garçon bien dans un joli pavillon en banlieue, elle était partie. Elle ne voulait pas de cette vie, elle n'en avait jamais voulu, alors elle était partie, vers ce sombre QG, accompagnée d'Eddie, tandis que Butch fumait une cigarette sous un abri bus, comptant les pièces qu'il avait pu recueillir, que Miaouss rognait un poulet, oubliant les coups qu'il avait reçu du boucher, et que James arpentait les rues de Jadielle, seul, la robe rouge dans son sac, depuis qu'il l'avait récupéré sur le sol de la grange, ce soir là.



Elle était retournée chez elle, le Walkman volé à sa voisine de chambre dans sa poche, avec son sac aussi lourd que son fardeaux, dans cette maison près de l'océan, où elle vivait autrefois avec sa mère à Soleilville. Malgré les années, la maison était toujours là, en bois, miteuse, et la porte était toujours ouverte, intacte, comme si elle ne l'avait jamais quittée. La lumière rouge de l'aube s'exfiltrant au travers des vieux voilages décousus faisait danser des formes abstraites sur le papier peint jauni par le temps dans le vieux hall d'entrée qui n'avait jamais changé malgré les années. Jessie avait balayé rapidement la pièce des yeux avant de poser son sac, bouleversée : une tasse de café froid à moitié remplie était encore posée sur le buffet de bois usé. Sa mère l'avait posée là avant de partir, ayant failli emporter sa boisson chaude avec elle. Il y avait encore cette vieille poterie qu'elle avait faite à l'école pour la fête des mères, qui contenait autrefois des fleurs, mais depuis tout ce temps, elles avaient dû faner et se désintégrer... Jessie senti son cœur chavirer et les larmes lui piquer les yeux tandis qu'elle pris entre ses doigts les clefs de voiture de sa mère, laissées là, mais elle serrât plus fort sa mâchoire pour ne pas se laisser aller à ce sentiment de mélancolie. C'était bien réel, et pourtant elle voyait cette maison dans ses rêves, sans arrêt, mais là c'était différent, tout lui revenait en pleine figure, encore plus violemment, la happant dans la réalité, lui faisant remonter tous ses souvenirs... 


"Bonne fête maman!" Elle lui avait tendu cette poterie dans un grand sourire hypocrite espérant que sa mère ne remarque pas que cette affreuse jarre avait été cassée puis recollée... C'était la faute de Giovanni : ils avaient joué dans le jardin avec les Pokémons du QG de la Team Rocket sous le regard bienveillant de Mme Boss, comme tous les mercredis, mais il avait envoyé le ballon trop loin, éclatant le petit baluchon dans lequel elle avait emballé ce précieux cadeau... "TU L'AS CASSÉ, IMBECILE!" Et elle avait pleuré longtemps, avant qu'il ne le lui rende tout recollé, un peu grossièrement... 

"- Merci ma chérie c'est magnifique!" 

Jane mentait bien sûr, comme toutes les mamans, à la vue de cette immonde poterie ornée de peintures très mal réalisées d'Eliatron, mais comme c'était sa précieuse fille unique qui l'avait réalisé de ses petites mains, elle avait une place toute particulière sur le buffet de l'entrée... 

Aux côtés d'une écharpe mauve décousue qui pendait au porte manteau tout rouillé, et d'un chapeau dont le feutre était poussiéreux, là, au sol, il y avait encore la gamelle vide de ce mystérieux pokémon que Jessie voulait appâter avec de la nourriture quand elle était enfant, mais qu'elle n'avait jamais réussi à prendre en flagrant délit... C'était délabré, mais c'était chez elle, alors dans la vieille chambre de l'étage, elle avait rangé ses affaires. Tout était exactement comme dans ses souvenirs : des murs ternes, gris, d'épais rideaux oranges hideux et démodés empêchant la lumière de pénétrer la pièce. Un parquet de bois usé au milieux duquel trônait un lourd tapis chaud et poussiéreux sur lequel elle jouait avec sa poupée parfois. Il y avait un petit bureau à droite, un coffre, puis plus loin, une armoire en bois usé décorée de gravures en formes de Dracolosse, et un lit d'enfant. 

"-Je reviens bientôt..."

Elle qui n'avait jamais réussi à comprendre pourquoi sa mère était partie comme ça, sans elle... Elle venait de fuir pourtant, de la même façon. Il n'y avait pas d'eau dans la maison, pas d'électricité, rien, mais c'était chez elle. Parfois, le soir, sous les couvertures, elle pensait à Cassidy, à son rire et à ses petites piques bien senties, à la douceur de sa peau et à son parfum. Elle repensait à leurs rêves, à leur univers, à la chambre de l'internat et à la télévision grésillante, aux cassettes qu'elle empruntait à la médiathèque de l'école, au vin rouge que Cassidy volait à sa mère.

"- HEY? Y A QUELQU'UN?"

Allongée dans son lit d'enfant, avec sa poupée, elle avait entendu un fracas en bas, comme du verre qui se brise. Elle se demanda d'abord si ce n'était pas un rêve, après tout, elle ne mangeait pas beaucoup, mais les fracas résonnaient jusqu'en haut, plus forts. C'est là qu'elle avait rencontré Keira.

"- Qu'est ce que tu fous là toi?
- J'habite ici, y a rien à voler alors fiche le camp!"

Une fille perdue, comme elle, à la recherche de quelques choses à manger, à piquer pour le revendre, et finalement, elle avait trouvé en cette gamine une nouvelle amie, et un refuge, dans une grange près d'ici, avec une bande de marginaux, des outsiders, comme elle, des gens qui la comprenaient, qui ne la jugeraient pas. A partir du moment où Jessie se mit à penser que Cassidy la jugerait si elle apprenait la vérité, c'était déjà la fin. Elle savait très bien en laissant le mot qu'elle ne reviendrait jamais à l'école. L'histoire aurait pu s’arrêter là, mais un soir pourtant, Cassidy réapparu, comme un éclair dans la nuit.

Soleilville, mai 1991. L'année scolaire était presque finie, et les mois s'étaient écoulés depuis que Jessie était partie. A Jadielle, la vie monotone de Cassidy suivait son cours : idéale pour la plupart des élèves, et pourtant, elle s'ennuyait. Faire le mur ne l'amusait plus, les garçons s'endormaient rapidement après l'amour, ils ne la faisaient pas rêver. Comme d'habitude, c'était Eddie qui avait vendu la mèche. L'informateur, le gentil garçon, toujours au courant de tout, et prêt à beaucoup pour séduire Cassidy...

"-Le gamin aux cheveux bleus dit qu'il l'a vu dans un squat à Soleilville, avec une bande de voyous à vélo. Elle fait des combats Pokémons contre les gens qui vont jusqu'à la crique, et s'ils perdent, ils doivent donner leur fric."

Dans le vieux hangar au bout du quai, au dessus d'une terrasse de fortune, des guirlandes lumineuses de Noël clignotaient en rythme, suspendues aux poutres de bois abîmées. Au sol, les lattes pleines d'échardes étaient recouvertes de lourds tapis aux motifs indiscernables tant ils étaient poussiéreux, tachés de vin, et troués par les mégots jetés au hasard. Ça et là, des canapés Chesterfield marrons, où les Miaouss errants venaient faire leurs griffes, et au centre, une vieille table et des jeux de sociétés. C'était calme. Les murmures caressaient l'océan et la fumée des joints donnait un air mystique à la scène, tandis que dos à la bande, accoudée à la rambarde, Jessie, regardait l'océan, lasse, écoutant d'une oreille les conversations futiles de ses comparses lorsqu'elle entendit soudainement que le ton haussait. Elle jeta sa cigarette à l'eau

"- Tu t'es perdue boucles d'or? 
- C'est qu'elle est pas mal...
- Rentre chez toi si tu veux pas qu'on t'dépouilles, pétasse"

Keira était arrivée sans un bruit, et à sa simple vue, ses amis s'étaient tu, et elle s'était retrouvée face à une adolescente du même âge que cette dernière, blonde, à peine plus petite qu'elle avec de grands yeux améthyste dont elle distinguait la profondeur de la couleur à chaque fois que les guirlandes s'illuminaient à l'unisson. Elle semblait venir des beaux quartiers, du moins, c'est ce que traduisait son allure et ses vêtements. Cachées par ses cheveux blonds, de magnifiques boucles d'oreilles brillaient dans la pénombre, de même que ses yeux emplis de prétention, se mariant à la perfection avec son petit sourire suffisant. Elle était terriblement sûre d'elle, aussi Antoinette, qui se prenait pour la chef, fit un geste sec de la tête à sa bande afin qu'ils la laissent gérer ça, tandis que Jessie resta cachée. Cela n'empêcha pas les garçons de mater Cassidy comme si elle était un morceau de viande, tandis qu'Antoinette pris la parole

"- Tu cherches quelques choses?
- Jessica"

C'était la première fois que Cassidy venait ici, cet endroit mal fréquenté au milieu des gens paumés, sans famille ni attache, les laissés pour compte, en somme. Derrière le rideau, à l'intérieur de la grange, les curieux regardaient la scène : il y avait beaucoup de gens de passage ici, et si Keira se prenait pour la chef, c'est qu'elle vivait dans ce trou à Ratatta depuis plus longtemps que les autres. Elle avait sorti sa Pokéball

"- J'te laisse passer si tu gagnes, t'as compris!? Sinon, tu peux dire adieu à tes boucles d'oreilles!"

Cassidy avait esquissé un sourire tandis que James et Cyclo regardaient la scène dans la grande pièce servant de dortoir, par l'un des trous dans la boiserie.

"- J'n'ai pas envie que mes Pokémons attrapent des puces! Je vais l'attendre."

C'était la première fois que Jessie voyait Cassidy dans cette robe. Cachée derrière la cabine de douche, les pieds dans le sable, elle s'était mise à trembler, avant de ravaler ses sanglots. Cassidy l'avait retrouvée. Elle s'était liquéfiée de honte

"- Je peux savoir c'que tu lui veux à Jess?
- Dis lui seulement que j'suis là"

Des explications, c'est tout ce qu'elle demandait. Mais lorsque Cassidy l'avait vu arriver dans ses vieilles fringues démodées qu'elle ne connaissait que trop bien, ses cheveux mouillés et l'air condescendant après sa disparition mystérieuse, elle fut bien trop agacée pour ne pas être sarcastique

"- Je vois que tu n'as pas changée.
- Pourquoi t'es là?
- Et toi, pourquoi t'es là?"

Elle aurait tant voulu lui hurler "Parce que j'ai pas de baraque, parce que je n'ai pas la force de venir tous les jours affronter des gens qui vont me juger alors que je n'ai pas demandé à naitre du mauvais côté de la barrière!", mais elle en était incapable. Et pourtant Cassidy aurait compris, elle n'était pas cette fille cruelle que dépeignait Jessie, loin de là.

"- T'as rien à fiche ici, 
- Tu vois quelqu'un d'autres, c'est ça?!
- Oui. Alors reste loin d'moi."

Cassidy était une fille forte, pourtant, mais ça l'avait blessé. Énormément. Pourquoi est ce que Jessie lui faisait ça, à elle? Pourquoi l'avait elle jetée comme ça, sans raison!? Elle n'avait pas cherché de réponses, rien. La fierté, comme d'habitude. Malgré les questions sans réponses de Cassidy, Jessie ne voyait personne, si ce n'était ses nouveaux amis du gang des bicyclettes.
Et elle était venue la rejoindre, comme toujours. Elle avait beau faire la fière devant la bande, devant Cass, devant tout le monde, c'était plus fort qu'elle, elle était amoureuse, même si elle refusait de le montrer. Elle avait pourtant eu envie de fuir, mais elle préférait mentir, encore.
"- T'es pas bien d'être venue sale greluche, il aurait pu t'arriver n'importe quoi! - Tu parles! Cette pétasse vulgaire ne me fait pas peur! Et toi non plus. Allez, habille toi, on va au bal de fin d'année - J'ai pas mes affaires, je vais rentrer.- Tu n'as pas besoin de repasser par ton caniveau, on va être en retard! De toute façon il y a un dress code, tu n'rentreras pas avec tes... "affaires"- C'est mes affaires, d'accord?!- Ah quoi bon faire le déplacement? Tu les as volées ou confectionnées avec du sac poubelle, je vais te prêter une robe! Une vraie robe, qui vient de Celadopole!- De Celadopole?- Évidemment, je n'fais pas du shopping dans les vide-greniers, MOI! Celle que je portais tout à l'heure, elle te plait?"
Cassidy s'était levée du lit, encore nue, et avait pris la robe rouge qu'elle avait délicatement plié sur sa chaise. Une jolie robe, avec un décolleté plongeant dans le dos, arrivant juste au dessus de ses genoux. Une robe de couturier, bien trop finie et travaillée pour que Jessie ne puisse la trouver dans l'une de ces boutiques de dépôt vente. Ces yeux brillaient depuis que son amie lui avait parlé de Céladopole, cette ville lumière qui la faisait tant rêver, cette grande ville où tous les rêves semblaient pouvoir se réaliser, et où les magasins de mode se succédaient dans les rues pavées
"- Les filles de ton gang ne portent pas ca, pas vrai?- File moi ça! Je pari qu'elle me va mieux qu'à toi..."
Il n'y avait pas eu de questions, rien. En rentrant de la grange, elles s'étaient toisées du regard, sans un mot, jusque chez Cassidy, et arrivées à la maison, elles n'avaient pas jugé utile de discuter avant de faire l'amour. Puis elles étaient parties. Ce soir là, ça aurait pu s'arranger, mais elles ne savaient pas communiquer : si la blonde minaudait et envoyait des piques acerbes de son air hautain, Jessie ne savait pas garder son calme et se mettait à crier, perdant toute crédibilité. Aussi, si ça ne partait pas en joute verbale, elles finissaient nues dans les draps, et rien ne changeait, finalement. C'était un cercle sans fin, sans issue, toujours comme ça depuis le début. 
Cecelia avait regardé Jessie de travers lorsqu'elle était passé habillée avec les vêtements de sa sœur, avant de prendre Cassidy a part 
"- C'est ta robe non?- Et alors?- Je pensais que tu étais revenue à la raison..."
Encore une fois, la morale moyenâgeuse régnant sur la ville avait frappé, mais c'était sans importance. C'était décidé, Cassidy partirait elle aussi, elle serait libre, indépendante. Elle allait s'enfuir, partir à Céladopole avec Jessie, elles seraient comme Thelma et Louise, en fuite, sur les routes... du moins c'est ce qu'elle s'imaginait, avant que cette soirée ne vire au cauchemar.
Arrivées à la fête, Edward était là, de même que beaucoup de monde de la Pokémon Tech, et dès lors qu'il avait vu Cassidy entrer, il était venu la voir, chancelant dans son costume trop serré. La salle était immense, tamisée de cercles de lumière, provenant des reflets des projecteurs sur l'imposant lustre de cristal eu centre.
"- Cass, c'est bon d'te voir, tu... tu es sublime ce soir"
Aussi, la jeune adolescente l'avait regardé en souriant fièrement tandis qu'il tremblotait, la sueur perlant sur son front, rouge Ecrapince, avant de lui prendre son verre des mains
"- Eddie, mon chou... Tu as déjà assez bu je crois. Va donc me chercher un autre verre...- Tout de suite Cass..."
Les rires et les discussions fusaient tandis que les élèves dansaient sur des musiques à la mode, s'enchaînant et résonnant dans les enceintes de la salle des fêtes. La robe était restée sur Jessie ce soir là, après qu'elle ai vu Cassidy minauder toute la soirée avec un garçon... Elle était restée au bar toute la soirée, refusant de danser
"- Je croyais que tu étais venue me chercher parce que tu voulais passer cette soirée avec moi...- Fais pas la gamine pourrie gâtée Jessie, amuse toi et profite d'être ici plutôt que dans ta grange, compris?!- C'est qui lui là bas?- Ah, parce que ça t'intéresse maintenant?!- Pourquoi t'es venue me chercher au juste? Pour me montrer que maintenant tu couches avec des joueurs de foot?- T'as trop bu Jess, laisse tomber.- C'est ton mec c'est ça? T'es contente, ça fait parti de ton super plan pour te la raconter?- Tu vas me faire la leçon alors que tu fréquentes une SDF? T'es vraiment tombée bas...- T'es vraiment une sale MORUE PRETENTIEUSE!! TU T'PRENDS POUR QUI?- Si tu commences à hausser le ton je j'te connais plus, tu m'fiches la honte.- T'as raison, dégage! Madame Cassidy voulait me montrer à quel point elle est cool, à quel point elle a de l'argent et des mecs à ses pieds c'est ça? Je l'savais déjà que t'étais qu'une pétasse, c'était pas la peine de m'inviter! - T'es ridicule.- MOI J'SUIS RIDICULE?"
La dernière soirée, la pire, celle qui allait les séparer pour de bon. Jessie savait déjà qu'elle avait été refusée à l'école pour devenir infirmière, et qu'elle allait devoir intégrer une classe pour Leveinard à Ville Heureuse, loin d'ici, à Johto, et naïvement, elle pensait que Cassidy était venue la chercher pour lui dire qu'elle avait vu les résultats, qu'elle allait lui dire quelques choses comme... "Ça ira, je sais tout, j'm'en fiche, je t'aime, on restera ensemble malgré tout", mais non. Non, évidemment, ça ne ressemblait pas à Cassidy.
Probablement que le jolie blonde ne cherchait rien d'autres que regonfler son ego au travers de ce beau garçon lui ronronnant des sérénades vues et revues, peut être parce que Jessie l'avait laissé tomber, sans aucune explication? 
"- T'es qu'une garce, à toujours étaler ton fric et à croire que j't'appartiens! Tu penses que tu vaux mieux que moi mais t'es qu'une salope!- Je préfère être une salope qu'une pauvre menteuse crade et sans ambition. Ma pauvre Jessie, regarde toi! Tu peux duper ta clocharde en te pavanant dans ma robe, mais pour nous tous ici, tu sera toujours Jessica, la fille à problèmes."
La fierté. La mauvaise foi. Plutôt que d'avouer à Cassidy pourquoi elle était partie, elle préférait faire preuve de mauvaise foi, tandis que Cassidy n'aurait jamais avoué qu'en dépit de ses relations volages avec des garçons du lycée, c'était avec elle qu'elle voulait être, par fierté. 
Et elle était partie, furieuse, avant de se rendre compte qu'elle avait oublié son sac chez Cassidy. 
"- Reste dans ton p'tit confort à faire semblant qu't'as des problèmes parce que ton père est mort, ou parce que ta mère a des principes rétrogrades. T'es qu'une pétasse sans cœur et t'es jalouse de moi parce que tu sais que je vais devenir quelqu'un, alors que toi tu finiras avec un pauvre mec dans une maison comme la tienne en banlieue!- T'es qu'une minable ma pauvre, tu deviendras rien du tout! Sans moi t'es rien. Je t'ai donné ta chance et t'as préféré cracher dans la soupe, mais ça m'étonne pas! T'es qu'un parasite, tu détruis tout c'que t'approches, dégage de chez moi."
Sur la route, pédalant sous la pluie à toute vitesse, elle s'était promis de ne jamais revoir Cassidy. Elle allait devenir quelqu'un, elle allait se battre. Même si personne ne pariait sur elle, elle allait s'en sortir, sans elle.
"- Hey, fais moins d'bruits tu veux!- La ferme!"
Ce soir là, c'était aussi la dernière fois qu'elle voyait la grange, quand elle était revenue pour prendre ses affaires. Elle avait envoyé paître l'un des garçons qui dormaient là, puis elle avait enlevé la robe trempée avant de la jeter en boule au sol, et de donner un violent coup de pieds dedans. C'était fini. Demain, elle partirait pour Ville Heureuse, avant de quitter l'école, de partir pour Céladopole tenter sa chance, avant de finalement revenir voir Giovanni, dans ce sombre QG, sa maison.
Ce soir là, Cassidy avait pleuré longtemps, à l'abri des regards, et elle avait détesté Jessie pour ça. Après l'été, elle était partie à l'université, et alors qu'elle avait un avenir tracé, un futur idéal se profilant avec un garçon bien dans un joli pavillon en banlieue, elle était partie. Elle ne voulait pas de cette vie, elle n'en avait jamais voulu, alors elle était partie, vers ce sombre QG, accompagnée d'Eddie, tandis que Butch fumait une cigarette sous un abri bus, comptant les pièces qu'il avait pu recueillir, que Miaouss rognait un poulet, oubliant les coups qu'il avait reçu du boucher, et que James arpentait les rues de Jadielle, seul, la robe rouge dans son sac, depuis qu'il l'avait récupéré sur le sol de la grange, ce soir là.

Concept et textes par Lizzie B. & Charlotte
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